L'eau en bouteille

Article publié dans le journal papier poitevin d'objecteurs de croissance - TINA numéro 1 - novembre 2009 (http://tina-journal.fr )

L'idée fait du chemin : il vaut mieux manger local et de saison, pour des raisons écologiques (éviter le fret longue distance) sociales (souveraineté alimentaire), et éventuellement culturelles (connaître les produits de son terroir).

Si en plus de manger local, on buvait local ? Pas que le vin, mais aussi l'aliment numéro 1 : l'eau. Il est exaspérant de savoir que nous avons de l'eau potable de qualité dans nos robinets, nos douches et même nos chasses d'eau et que malgré tout, nombre de nos concitoyens boivent de l'eau en bouteille.

Le coût de l'eau en bouteille

Une eau en bouteille est environ 200 à 300 fois plus chère que l'eau du robinet. 7 milliards de litres d'eau en bouteille sont consommés en France par an (les Français boivent au total environ 50 milliards de litres d'eau par an), et il faut 7 litres d'eau pour fabriquer une bouteille en plastique.

N'oublions pas aussi que l'eau en bouteille se transporte par camions. Si un camion transporte 25 tonnes, nos 7 milliards de litres demandent donc l'assistance de 280 000 voyages de semi- remorques en une année. Tandis que l'eau du réseau est transportée à partir de pompes électriques, et grâce au châteaux d'eaux, on s'aide de la force de gravité, énergie non-polluante à 100 %.

Eau de robinet = 2/3 eau de source

Les vendeurs d'eau en bouteille ont fait fort. Les eaux de robinet sont quasiment identiques à celles que l'on achète en bouteille (seules deux exceptions sont notables : les eaux gazeuses, et eaux minérales enrichies en minéraux pour amateurs de fitness). Le fait que la bouteille soit estampillée « eau de source » est un argument de vente. Pourtant, en France, 2/3 de l'eau courante provient d'eaux souterraines. Une eau souterraine, est une eau qui est puisée dans une nappe phréatique et une source, c'est ni plus ni moins qu'une nappe, qui fait surface. Nous nous douchons donc avec deux tiers d'eau de source. L'eau de source en bouteille est aussi associée à quelque chose de pur, et ayant de nombreuses vertus. Mais toute eau a ses vertus, celle de Poitiers est riche en calcium par exemple, pourquoi s'en priver ? Et nos eaux en bouteille n'ont pas à se vanter de leur pureté : elles ont toutes subi un traitement après prélèvement (désinfection au moins et éventuellement élimination de sels dissous en trop grande quantité), pour répondre à des limites chiffrées de concentration en minéraux qui sont les mêmes que pour ... l'eau du robinet.

Oui mais à Paris, on boit l'eau de la Seine, c'est crade ?

Pour le 1/3 restant (la moitié à Paris), on prélève de l'eau de rivière, que l'on traitera pour atteindre le même niveau d'exigence que celui exigé pour les eaux souterraines. Les traitements seront plus lourds et nécessiteront certes de l'énergie (électrique), et des réactifs chimiques (chlorure de fer), des matériaux filtrants (charbon actif), et quelquefois des techniques sophistiquées (filtration membranaire), mais seront sûrement moins polluants globalement que la fabrication d'un emballage, le transport des bouteilles en camion, et l'incinération ou le recyclage de l'emballage. (Et soit dit en passant, si les rivières sont polluées, c'est en partie à cause de l'industrie, l'industrie de la bouteille y contribue donc bien).

De plus, si l'on doit utiliser une eau de rivière on essaiera le plus possible de la mélanger avec une eau souterraine. Et concernant Paris, il faut savoir que la moitié de l'eau est acheminée par aqueduc  de Dreux, de la forêt de Fontainebleau et de Sens, d'eaux de sources qui ne sont pas des zones connues pour être particulièrement polluées.
A Poitiers nous buvons l'eau de la source de la Boivre plus quelques forages souterrains et d'autres sources situées dans les forêts avoisinantes, et un brin d'eau du Clain. Le service d'eau de ces deux agglomérations sont tous les deux publics (Paris depuis 2009), les informations sont donc accessibles.

Quelle différence alors ?

La seule différence entre une eau du robinet et une eau de bouteille, réside dans la désinfection. Pour désinfecter l'eau, on peut ozoner, c'est à dire injecter de l'ozone et tuer les microbes sur le coup, mais l'ozone se décomposant très vite, les microbes peuvent se redévelopper après. Ou alors on chlore, ce qui tue aussi les microbes sur le coup, et comme le chlore est stable dans l'eau, on peut ainsi maintenir un taux de chlore résiduel au cas où il y ait quelques saloperies dans les canalisations. Une eau embouteillée a été ozonée, mais non chlorée. Une eau de robinet est nécessairement chlorée.

Cependant, ce taux de chlore est raisonnable en France, (pas comme aux États-Unis où les gens ont une eau de piscine au robinet). Et si vraiment le goût est incommodant, il existe toujours des cartouches pour filtrer le chlore.

« D'accord, pour les repas je boirai l'eau du robinet, mais l'eau en bouteille c'est bien pratique pour la boire n'importe où, quand je ne suis pas à table. Non ? »

Dans ce cas, laissez-nous vous présenter une invention révolutionnaire : la gourde, une bouteille non jetable, que vous pourrez remplir à loisir avec l'eau du robinet, ou à défaut d'avoir une gourde, vous pourrez toujours réutiliser une bouteille en verre ou en plastique que vous remplirez avec l'eau du robinet.

Et pour terminer, citons un communiqué de l'ONU (du PNUD) de 2008 : «  Le coût annuel estimé de 10 milliards de dollars pour réduire de moitié les personnes privées d'assainissement de base avant 2015 (...) est modeste et abordable. S'il est soutenu, le même investissement pourrait procurer un assainissement de base pour le monde entier en une ou deux décennies. Cette somme est inférieure à 1% des dépenses militaires mondiales en 2005, un tiers des dépenses mondiales estimées sur l'eau en bouteille ou environ autant que ce que les européens dépensent en glaces chaque année. »

Devrait-on traîner en justice les vendeurs d'eau en bouteille ? Pas si simple.
En attendant : buvons l'eau du robinet !!!